Sur les traces des Jacquets
L'important ce n'est pas le but, l'important c'est le chemin.
L'Europe par les Chemins de St-Jacques de Compostelle
Caminoropa
La route des Hohenzollern
de la vallée du Neckar au lac de Constance octobre 2011
Il est de coutume de dire que le Chemin commence devant sa porte. J’ai pourtant choisi délibérément de m’éloigner de Compostelle, quelque peu nostalgique d’une brève période de ma vie passée dans ce «Land» de Bade-Wurtemberg, au caractère si romantique, et plus particulièrement dans la vieille ville de Heidelberg, miraculeusement épargnée de la folie destructrice des hommes.
Comme aucun chemin de St-Jacques ne passe (encore) officiellement au pied des vénérables murailles du château de Heidelberg, j’ai préféré débuter mon premier (et très modeste) périple près de Stuttgart, plus précisément à Esslingen sur Neckar, où convergent les chemins venant de Franconie (Würzburg, Nuremberg) et se poursuivent soit vers la Forêt Noire et l’Alsace, soit vers la Suisse (Einsiedeln).
Pour cette année j'ai choisi le vélo car le temps me manque pour parcourir à pied les quelque 200 km projetés. Je me suis basé sur le formidable livre de Wolfgang W. Meyer, qui a personnellement répertorié et signalisé une dizaine de chemins, rien que dans le Land du Bade-Wurtemberg. La plupart des explications et descriptions figurant dans cette page sont inspirées de cet ouvrage et je l’en remercie chaleureusement. Ce premier voyage lui est dédicacé.
Esslingen am Neckar - Tübingen
75 km
Me voilà au pied de l'église St-Dionysius, plus précisément devant la porte ouest, comme précisé justement dans le guide de Wolfgang. Et première déception, car toutes les portes de l'église sont fermées. Pas question donc espérer étrenner ma «credential» dans cette église. C'est un peu dommage, mais pas de quoi refroidir mon enthousiasme, qui est à l’image du temps : au beau fixe. J’enfourche mon deux roues et me mets à la recherche de la première marque du chemin… Nouvelle déconvenue, car pas la moindre trace de coquillage en vue. Je me dirige donc vers ce qui paraît la direction la plus logique, en descendant la rue piétonne vers le Neckar. Je franchis la vénérable "Schelztor" de la vieille ville, mais encore peu habitué aux subtilités de la signalisation allemande, je perds pas mal de temps à suivre des panneaux avant tout destinés à la «reine bagnole» plutôt qu’à la «petite reine». Cette ville ne me paraissait de prime abord pas très grande mais elle est en fin de compte suffisamment étendue pour m’égarer un bon moment, avant que je découvre enfin, non loin de la gare, un passage sous-voie permettant aux seuls piétons et cyclistes d'atteindre les rives du Neckar. Celles-ci sont très fréquentées par les promeneurs qui profitent de l’été indien. Je franchis enfin le fleuve avec une pensée pour les pèlerins du Moyen-Age qui convergeaient déjà ici, mais pour passer le fleuve à gué. Je me dirige ensuite vers le quartier de «Zollberg», qui comme son nom l'indique n'est pas vraiment plat. Au sommet de cette colline, je constate avec satisfaction que le trafic routier se fait plus discret. De larges pistes cyclables m'emmènent vers un autre quartier de la ville, puis à travers champs vers le village de Denkendorf. Au terme d’une longue traversée sur des chemins forestiers, je reçois la confirmation par deux enfants que je me dirige bien dans la bonne direction.
Dans cette forêt, j'ai la satisfaction de trouver enfin, cloué sur un arbre, le tout premier signe du chemin de St-Jacques, que j’ai cherché en vain dans les rues d’Esslingen. Il va de soi que ce ne sera que le premier d'une longue série. Je m'approche enfin de mon premier but, Neckartailfingen, mais perds à nouveau du temps sur des chemins forestiers. Je renonce d’ailleurs à suivre un sentier raide et étroit pourtant marqué du coquillage. J’ai laissé mon VTT à la maison ! Je constate aussi que mes errements et autres détours m’ont valu 10 km de rab ! Une belle «performance», laquelle me dissuade de pousser finalement jusqu'à Tübingen, comme je l’espérais. Le soir approche à grand pas et mon éclairage est défaillant. Je m'arrête ainsi dans ce village, sans prendre la peine de visiter l'église St-Martin. Il y en aura sans aucun doute bien assez d'autres !
Tübingen - Horb am Neckar
75 km
J’ai appris à mes dépens que les prévisions météo allemandes sont à considérer avec beaucoup de prudence. J'avais relevé quelques jours plus tôt que le temps allait être beau et chaud jusqu'à jeudi au moins. Or, ce sont de véritables trombes d’eau qui tombent ce mercredi matin lorsque j’enfourche ma bicyclette pour une des plus longues étapes de ce voyage, avec un équipement assez minimaliste. Mon premier but est de visiter l’église St-Jacques de Tübingen, une ville estudiantine où le centre historique est comme souvent en Allemagne à découvrir exclusivement à pied ou à vélo. Je découvre l'église avec (de nouveau) pas mal de détours et d'hésitations, mais j'y suis quand même. Et là encore, mauvaise surprise, je me retrouve devant des portes closes. Mais contrairement à la veille, il est indiqué que l'on peut se faire apposer le timbre à l’échoppe du cordonnier, dans la ruelle St-Jacques, à deux pas de là. Le brave homme m'explique tout sourire avoir vu récemment un très beau film français racontant l'histoire de deux hommes forcés d'accomplir un pèlerinage. Sans nul doute "St-Jacques... La Mecque" de Coline Serreau, que je n'ai pas encore vu mais qui paraît effectivement de circonstance.
Je le remercie et repars sous la douche, non pas en direction de Horb mais en sens inverse. En effet, je m'étais promis de ne pas faire l'impasse sur le monastère cistercien de Bebenhausen. Fondé en 1183 mais dont le cloître actuel date de la fin du XVe, l'abbaye a en outre servi d'asile à l'ancien couple royal du Wurtemberg, qui a abdiqué en 1918. Après la 2e guerre mondial, il a abrité le parlement régional, jusqu'à la fondation du Land en 1952. Bebenhausen n'est qu’à 5 km de Tübingen, mais sous la pluie et sur une route en chantier, ce n'est pas tout à fait une promenade dans le meilleur sens du terme. Toutefois, ce détour en valait la peine, car le site est vraiment très bien conservé. De retour sur la route pour Rottenburg, je choisis la variante longeant la route principale, ce qui a bien moins de charme que le chemin normal mais me permet d'avancer sans aucun problème d'orientation et m'épargne quelques montées. La pluie ne cessera pas de toute la journée et la vallée du Neckar, qui devient de plus en plus étroite, paraît sombre et sauvage, voire oppressante. Je passe la rivière sur un pont couvert et roule sur des pistes cyclables bien balisées, même si je m'égare brièvement ça et là. Je fais une courte pause repas sous un modeste porche d'église à 2 km de Rottenburg, que j'atteins enfin en début d’après-midi. Je suis trempé jusqu'aux os et fais ainsi l'impasse d'une visite de la place du marché et du dôme St-Martin. Rottenburg, anciennement Sumelocenna, a été fondée au temps de l'empereur Domitien sur une route qui reliait Canstatt (Stuttgart) à la Suisse. Malgré le temps plus que maussade, je décide de me détourner de cette antique route pour continuer à remonter le fleuve Neckar. Mon but est d'atteindre Horb, distante de 30 km environ, puis de couper direction sud-est vers Rangendingen et enfin, peut-être, Hechingen. Malheureusement, mes espoirs seront définitivement douchés par toute cette eau ruisselant ce jour dans la vallée du Neckar. Pire que tout, les températures chutent et ce qui était d'abord supportable le devient de moins en moins. D'autant plus que la route, au début agréable et surtout rapide, se détériore car il me faut emprunter des chemins agricoles, puis forestiers. Je m'impatiente en voyant le temps s'écouler beaucoup trop vite et en réalisant tout le chemin qui me reste à faire. Mes espoirs d'arriver au moins à Rangendingen se seront définitivement envolés lorsque je prends une nouvelle fois la mauvaise option en suivant les panneaux indicateurs jaunes. Certes, la route indique clairement la direction d'Horb, mais elle se révèle très raide, me forçant à mettre pied à terre, car mes jambes me trahissent. Je ne sens bientôt plus mes doigts et le jour commence lentement à décliner. Je parviens enfin à Horb et, tout comme à Rottenburg, je ne prends pas vraiment la peine de visiter la ville. Je me contente de m'engouffrer dans le premier bistrot rencontré, une gargote avec 4 tables et un comptoir à la propreté douteuse, dans une atmosphère enfumée comme je n'en avais vu que dans nos lotos villageois d'antan. Le patron, qui a largement atteint l'âge de la "quille", me dévisage d’un air incrédule lorsque j’évoque ma ballade en cette journée bénie pour les gastéropodes. Je lui demande de rajouter dans mon café une bonne rasade de son tord-boyau et c'est un peu rasséréné que je décide en fin de compte de monter jusqu'à l'église Ste-Marie, non loin de là. Dans le sas d'entrée, j'ai le plaisir de trouver un timbre mis à disposition des pèlerins de St-Jacques. Une fois ma credential remplie, je repars aussitôt vers mon but, que je sais pourtant hors de portée au vu de mes forces défaillantes. Seule consolation, après un dernier arrêt à l'église de Bad Imnau, où se trouve une belle statue de St-Jacques, j’apprends que mon petit détour sur les rives du Neckar m'aura au moins épargné la neige, laquelle a blanchi les environs de Hechingen. C’est aussi un moyen d’apprendre à connaître ses limites et à relativiser, car après tout le chemin ne doit pas être considéré comme une vulgaire «course d’étapes».
Hechingen - Messkirch
73 km
Le temps s'est nettement amélioré puisque la pluie a cessé depuis hier soir. Un petit vent froid chasse les nuages et le soleil fait sa réapparition. Je peux ainsi repartir le coeur léger. Une petite visite à l'église St-Jacques d’Hechingen me permet d'apposer un nouveau sceau sur ma credential. Je roule à bonne allure dans la vallée du Killer, en direction de Sigmaringen, et même jusqu’à Messkirch. Je prends le temps d'un arrêt à l'église St-Silvestre de Jungingen, puis dans l’église de Killer, évoquée pour la première fois en 1295, où on peut admirer une statue de St-Jacques datant de la fin du 15e siècle. Je hausse le rythme car me voilà en retard pour le rendez-vous que j’avais fixé avec Wolfgang Meyer. Je passe finalement sans m'en rendre compte devant sa maison. Fort heureusement je l'avais averti peu auparavant de mon arrivée, si bien qu'il me guettait et a pu me héler depuis le bord de la route. Je passe un moment très riche en sa compagnie, où il me relate ses expériences et ses découvertes sur les chemins de St-Jacques, qu'il sillonne depuis 1996, aussi bien dans sa région qu’en Espagne ! Il va bientôt se remettre en chemin, ce qu'il tente de faire au moins deux ou trois fois par année. Je le remercie chaleureusement pour ses bons conseils et dois me remettre en route. Je traverse une réserve naturelle longeant la rivière Fehla.
Je trouve ma route barrée par une large banderole annonçant des coupes de bois et promettant une amende à ceux qui passeraient outre. Je n'ai pourtant nulle intention de rebrousser chemin et profite que les bûcherons sont apparemment à leur pause. Tout se passe ainsi pour le mieux et je continue sur ces belles routes forestières sillonnant le vallon du Lauchert, m'attardant seulement auprès de la source de St-Gall, lequel est représenté avec un ours. La légende prétend que le saint aurait amadoué le plantigrade pour pouvoir trouver un gîte et du bois pour le feu. Le parcours de Veringenstadt à Sigmaringen ne représente aucune difficulté, je continue ainsi à profiter du paysage et du calme dû à une totale absence de trafic routier.
L'arrivée à Sigmaringen est saisissante, car on a immédiatement une vue frontale avec l'imposant édifice du château, dominant de ses superbes façades le Danube. Le débit du fleuve est relativement bas, mais je le longe sur 3 km avec un grand plaisir, me faufilant au milieu des promeneurs qui apprécient la douceur revenue. Je monte sur la colline jusqu'au monastère d'Inzigkofen, bâti en 1354 par deux soeurs Mechthild et Irmengard. Ce lieu servira de refuge lors des disettes au 18e s. Napoléon mettra un terme à la vie monacale pour remettre le couvent aux comtes de Hohenzollern. L'endroit semble tout à fait reposant mais j'ai décidé de continuer aujourd'hui jusqu'à Messkirch, distante d'une dizaine de kilomètres, que j'atteins sans difficulté puisque la route descend à travers champs sur des chemins agricoles.
Messkirch - Constance
79 km
Le brouillard est cette fois de la partie, pas très épais mais créant une atmosphère tout bonnement glaciale. Cela donne aussi un certain charme aux grands espaces protégés que je traverse. De nombreuses tours d’observation ont même été érigées pour observer les oiseaux. Je prends comme repère la voie ferrée se dirigeant vers Stockach, ma première destination. J'atteins cette ville pour la pause de midi, que je passe sur la terrasse de l'église. Stockach ne se révèle pas particulièrement intéressante et je ne m'attarde pas. Je file vers les vergers du lac de Constance, sous le soleil retrouvé. Ma moyenne est assez élevée et j'arrive en début d'après-midi à Ludwigshafen, qui a perdu son animation estivale. Je contourne l'extrémité nord de l'Uebersee, dont les rives sont également protégées. De l'autre côté, dans un village nommé Bodman, je prends l’option de suivre les panneaux indicateurs piétonniers. Je remarque une jeune femme sur un vélo de course qui me semble tout autant hésitante que moi. Finalement j'apprends qu'elle est Israélienne et qu'elle est partie le matin de Constance pour faire le tour du lac, alors même que c’est sa première expérience sur un vélo de course ! Quand on dit que les habitant(e)s de ce bout de terre sont des dur(e)s à cuire, cela semble avéré. Elle décide de couper à travers la colline, en empruntant une route étroite très raide. Peu convaincu de ce choix, je la suis mais au bout d'un kilomètre, nous devons nous rendre à l'évidence : pas moyen de passer par là. Le guide de Wolfgang mentionnait d’ailleurs qu'un chemin de ce bout de pays n'était absolument pas praticable en vélo. On ne pouvait donc pas dire qu'on ne le savait pas.
Malgré ses réticences, je la persuade de rebrousser chemin et de redescendre dans le village. Nos chemins se séparent définitivement à cet endroit. Je continue vers le nord, pour retrouver enfin la voie cyclable. Je croise un grand nombre de retraités, bien calés sur leur «e-Bike» et arrive enfin à Radolfzell. Fondée en 826 par un évêque, elle est devenue au fil des siècles une ville marchande importante. Elle a appartenu durant un temps à l’Autriche. Plusieurs gîtes et chapelles pour pèlerins avaient été érigés juste à l'extérieur de ses murs. Une rue St-Jacques à la sortie de la ville en témoigne. Le milieu de l'après-midi arrive et je me décide à mettre un terme à ce voyage à Reichenau, lieu enchanteur consacré par l'UNESCO. Je réserve la visite de Constance pour une prochaine occasion