Sur les traces des Jacquets 

L'important ce n'est pas le but, l'important c'est le chemin. 

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château de Josselin
Gap

du Valais à Rome - octobre 2016 

  

Dorénaz - Col du Grand-St-Bernard     

52 km 

  

Je m'étais longtemps imaginé ce départ, me projetant vers cette montée qui me paraissait si difficile et pour laquelle je m'étais préparé tout au long de cette année, grâce à Cédric et ses conseils avisés pour les cyclistes amateurs. Je m'étais posé mille questions, imaginé maints scénarios, et maintenant j'y étais enfin. Mon point de départ est mon village d'enfance, et je prends congé de mon père qui cache tant bien que mal sa perplexité et son inquiétude en me souhaitant bon voyage. Les quelques kilomètres de plaine qui me séparent de Martigny me permettent une mise en jambe très douce. Je m'attarde quelque peu dans cete ancienne cité romaine, car c'est jour de marché et une animation bienvenue règne au centre-ville. Je sais que ce sera ensuite une journée en solitaire et physiquement difficile, je repousse ainsi quelque peu la confrontation à la montagne. Lorsque je m'engage sur la route du Val d'Entremont, les coups de pédale se succèdent et je prends tout gentiment de la hauteur. La dénivellation n'est au début pas très importante, seul le trafic routier est un peu gênant. Depuis Sembrancher, la pente se renforce un peu mais je sais que le plat de résistance sera sur le dernier tronçon et la route du col, à la bifurcation du tunnel du Grand-St-Bernard. Les conditions sont tout d'abord favorables, car un régime de foehn très soutenu s'est installé dans les Alpes et les températures sont douces. Je passe Orsières, puis Liddes, que j'avais déjà visités à pied l'année dernière, et atteins vers midi Bourg-St-Pierre, où Napoléon avait fait halte en 1800 à la tête d'une armée de 40'000 soldats.  Je ne résiste pas à faire un bon petit repas dans le sympathique Café-Restaurant du Crêt. Entretemps, la pluie s'est mise à tomber, ce qui n'augure rien de bon pour la montée du col. Par chance, un long tronçon se fait au sec, grâce à la galerie couverte menant au tunnel. Arrivé au départ de la route du col, les environs ont pris une jolie couleur blanche. Le foehn souffle de plus en plus fort et je m'équipe de pied en cap pour affronter les éléments. Finalement je m'engage sur la route mais la puissance des éléments et la route qui se couvre d'une fine pellicule de neige auront raison de ma volonté. Je dois mettre pied à terre et pousser, luttant péniblement contre le foehn, qui manque plusieurs fois de me faire chuter. Comme je connais bien la région pour l'avoir parcourue à pied l'été dernier, je ne me laisse pas décourager par les derniers lacets de la route qui font chacun croire à une arrivée imminente. La route s'est couverte d'une épaisse couche de neige fraîche et je passe à côté d'une voiture abandonnée dans le fossé. Le chasse-neige finit par me rattraper et c'est un peu frigorifié mais follement heureux que je prends la pose traditionnelle devant le panneau marquant l'arrivée au col à 2470 m d'altitude. L'accueil à l'hospice par le Père Frédérique est formidable de simplicité et de chaleur humaine. Il me dit perpétuer tout simplement avec trois autres chanoines une tradition millénaire, puisque l'hospice fut fondé vers 1050, et qu'il accueille depuis tout voyageur, chaque jour de l'année, y compris l'hiver où le col est fermé à la circulation, ce qui sera du reste le cas à la fin de ce week-end. 

 


 

Col du Grand-St-Bernard - Verrès    

90 km 

  

Lorsque je mets le nez hors de l'hospice ce matin, la tempête de neige qui fait rage ne m'incite pas à enfourcher mon vélo. Par chance une légère accalmie finit par arriver après une bonne heure et je peux ainsi m'aventurer à l'extérieur en portant mon vélo dans des grosses congères. La route a quant à elle été dégagée, du moins jusqu'à la frontière. Je croise justement la famille de Valaisans avec laquelle j'ai partagé mon repas la veille. Emmitouflés dans leurs grosses doudounes, ils rient de bon coeur en me voyant sur mon vélo et insistent  pour me prendre en photo. Depuis là, la route n'a pas été dégagée et c'est donc un joli exercice d'équilibriste qui m'attend, dans 20 cm de poudreuse. Mon vélo se prête plutôt bien à l'exercice car jusqu'à St-Rhémy, je ne chute qu'une seule et unique fois. Le froid qui me saisit m'incite à faire une pause dans ce joli village. Mes gants sont complètement détrempés. Après un bon thé chaud, je repars sous une pluie battante. Elle ne va pas cesser de toute la journée. J'avais repéré il y a 4 mois la jolie route serpentant de l'autre côté de la vallée. Elle est tout bonnement magnifique et désertique par ce temps diluvien, ce qui me va très bien. J'atteins Aoste en début d'après-midi, traverse l'Arc d'Auguste et le coeur de la cité jusqu'à la Porte Prétorienne datant de 25 v. J.-C., puis continue sur une piste cyclable, le long de la Doire Baltée. Je quitte le fond de la vallée pour remonter dans la ville thermale de St-Vincent, puis dans le village de Bourg-Montjovet, avec une jolie église. La pluie finit par se calmer et j'avance comme prévu, pour atteindre finalement Verrès à la nuit tombante.  

 

 

Verrès - Mortara  

120 km 

  

Je suis la route principale jusqu'à Pont-St-Martin, avec son célèbre pont romain du 1er s. av. J.-C. qui a très longtemps constitué l'unique porte d'entrée de la vallée. J'ai aussi admiré l'imposant Fort de Bard, qui trône majestueusement sur son promontoire. Il fut construit en 1838, à la place d'un château-fort du Xe s. rasé par Napoléon. Un flot de touristes atteste de la popularité de l'endroit, qui abrite aussi un musée. J'emprunte ensuite un magnifique chemin traversant les vignobles piémontais en terrasses, surplombant le lac de Viverone. Une vue magnifique s'offre ainsi à moi. J'arrive ensuite à Ivrea, avec sa tour Santo Stefano, puis à Santhia, avec son église Sant'Agata et son très beau portique St-Etienne. La plaine du Pô s'ouvre maintenant à moi, avec ses  rizières à perte de vue. Je passe du reste devant le centre national de recherches sur le riz. A la sortie de la ville de Vercelli, je décide de m'éloigner du trafic routier, en suivant une route non asphaltée où je dois zigzaguer entre les énormes trous qui la parsèment, en direction du village de Palestro. Un gros panneau invite le pèlerin à y faire halte, mais je décide de poursuivre pour la nuit jusqu'à Mortara. Un habitant sur le chemin m'interpelle en m'invitant de rebrousser chemin. Il m'assure que le chemin balisé officiel va me faire faire un gros détour et m'encourage à suivre la route la plus directe jusqu'à Mortara. Cette route est cependant assez dangereuse puisque étroite et très fréquentée, mais j'arrive au but sans encombre à la nuit tombée. Une dame très serviable m'encourage à me rendre directement au refuge des pèlerins jouxtant l'église de Saint Albin. Elel fut fondée sur le lieu où, selon la tradition, l'armée de Charlemagne mena une sanglante bataille contre les Lombards et leur roi Desiderius, en 773. Elle était une étape très importante pour les pèlerins de la Via Francigena au Moyen-Age. J'y fait la connaissance de Laura, une jeune femme très courageuse puisqu'elle chemine depuis 1 mois et demi de Rome pour se rendre à Londres. Elle est à la moitié de son parcours et redoute un peu la traversée de la Suisse et de la France où elle rencontrera très peu d'accueils jacquaires, contrairement à l'Italie. 

 


 

Mortara - Piacenza  

110 km 

  

Je reprends la route au petit matin dans un épais brouillard, plutôt classique pour la région. En fin de matinée, je traverse le fleuve Ticino sur le beau pont couvert à l'entrée de Pavia. L'ancienne capitale lombarde recèle de nombreux trésors d'architecture, notamment le château des Visconti, que je n'ai pas le temps de visiter, et aussi le Duomo, abritant la tombe de San Siro, premier évêque de Pavie. De plan octogonal, la construction s'est étalée de 1488 à 1898 et le dôme est de 97 m de haut ! Le reste de la journée s'écoule paisiblement dans la plaine du Pô, où je zigzague sur des chemins agricoles en profitant du soleil rayonnant et de la nature paisible. La ciclovia du Pô me conduit directement à Piacenza. Je découvre la vieille ville aussi belle que Pavia, avec son palais gothique, ses basiliques San Francesco et San Antonino, pour ne citer qu'eux.  

 

 

 

Piacenza - Berceto  

110 km 

  

Après deux jours passés dans la plaine du Pô, cette journée s'annonce fort différente, puisque je vais gravir les pentes du col de la Cisa. Je tourne d'abord bêtement en rond dans Plaisance  jusqu'à ce que je trouve enfin la via Emilia qui me mène en droite ligne à Fidenza. Je mange mon casse-croûte sur la place face à la cathédrale romane S. Donnino, où un monsieur vient m'encourager en m'expliquant qu'il était également parti sur la Via Francigena depuis sa ville. Il me donne de précieux conseils our affronter les premiers contreforts du Mont Bardone, dans les Appenins. Depuis Fornovo, la route prend doucement de la hauteur, et tout à coup le brouillard se met de la partie, avec un fin crachin. Cela ajoute un attrait mystérieux aux magnifiques paysages qui m'entourent. Le village de Terenzo notamment prend une apparence fantomatique. C'était une place importante pour les pèlerins qui se rendaient à Rome puisqu'un refuge y existait depuis le 13e s. La route se fait un peu plus escarpée, mais cela reste bien entendu sans comparaison avec le col du Grand-St-Bernard. Les  routes sont très peu fréquentées et je peux prendre tout mon temps pour profiter du paysage. A Cassio, un très joli village, j'hésite à poursuivre mais un habitant des plus serviables me donne les indications nécessaires qui me décident à poursuivre jusqu'à Berceto. Je passe la nuit dans un ancien séminaire où je rencontre un coupole de pèlerins qui m'invitent à partager leur repas. Jusqu'à présent, hormis à Mortara, ce sont les seuls pèlerins que j'ai rencontrés. Ils seront sans nul doute beaucoup plus nombreux dès la Toscane. 

 


 

Berceto - Valpromaro  

130 km 

  

Les lieux sont tellement propices à la méditation que je reste beaucoup trop longtemps dans les bras de Morphée, malgré mes bonnes résolutions de la veille. Aujourd'hui est un grand jour puisque je vais enfin laisser derrière moi la dernière grosse difficulté du voyage et arriver en Toscane. La route du col depuis Berceto est bien plus facile que prévue puisque c'est uniquement une succession de petites montées et de descentes. Je prends le temps de la photo traditionnelle devant le panneau du col de la Cisa, marquant la frontière entre l'Emilie- Romagne et la Toscane. Je rencontre Peter et Francesco, des pèlerins belge et milanais. Peter n'est pas pressé puisqu'il prévoit son arrivée à Rome à fin novembre. Il compte marcher pendant 4 mois au total. Je leur souhaite bonne chance et descends à vive allure la route menant à Pontremoli, où je reprends des forces entre les deux places principales, reliées entre elles par un étroit passage. Il est surmonté par une tour appelée Campanone, qui se trouve être le dernier vestige d'une forteresse qui coupait la ville en deux au temps des guerres continuelles entre factions opposant les guelfes aux gibelins. La route serpente plus loin dans une vallée encaissée dont l'extrémité est la ville d'Aulla. Le chemin passe ensuite à Marina de Carrara et à Massa, avec son lot de trafic routier. Je suis bel et bien dans le sud, avec ses nombreux petits véhicules à trois roues, et ses villes nettement moins opulentes avec ses friches industrielles à l'abandon. Je suis tout de même très heureux d'avoir rejoint la Mer Ligure, car cela signifie que plus de la moitié du chemin est parcourue et que la partie la plus belle, la Toscane, s'offre enfin à moi. Je continue sur la via Aurelia en direction du sud, traversant Massa et Pietrasanta, mais j'oublie de bifurquer vers Camaiore. Lorsque je rebrousse chemin, la nuit me rattrape. Je dois ainsi m'équiper en conséquence sur cette route sinueuse des monts de la Versilia. Par chance, le trafic diminue sensiblement après Camaiore et je peux même pleinement apprécier ce beau tronçon au milieu de la nuit paisible. La route redescend légèrement depuis Montemagno et conduit à Valpromaro. Ces deux localités étaient dotées au XIIe s. d'un hôpital pour pèlerins. Je suis chaleureusement accueilli par les hospitaliers Donatela et Pedro. Deux randonneurs norvégiens Jörg et André, sont déjà arrivés. Mirko, un des responsables de la paroisse San Martino, vient nous saluer et remettre à chacun de nous un diplôme-souvenir de notre passage dans son village. 

 

 

Valpromaro - San Miniato Basso  

100 km 

  

Le temps est un peu maussade ce matin mais la route toujours aussi belle, ce qui me change agréablement de toutes ces rectilignes surchargées de voitures. Le parcours jusqu'à Lucca et sa porte d'entrée San Donato est donc un vrai plaisir, qui se prolonge par le visite de la cathédrale San Martino, consacrée en 1070. Je prends tout mon temps car dehors la pluie tombe drue. En fin de matinée, le beau temps revenu, je fais un petit détour touristique jusqu'à la tour de Pise, puis rejoins la Via Francigena à Altopascio et finalement à San Miniato. Comme lors de l'étape précédente, je reçois un diplôme-souvenir au refuge situé derrière l'église de la Misericordia. Comme tout au long de mon voyage, je n'ai pas de problème à trouver de la place puisque le refuge est occupé par un seul et unique pèlerin italien, qui chemine seul depuis Canterbury. 

 

 

 

San Miniato - Siena  

90 km 

  

Je rejoins tout d'abord le bourg historique de la ville, perché sur sa colline. Une quiétude tellement apaisante règne sur les lieux qu'il est difficile de s'imaginer que Sigéric préféra les éviter car ils se situaient autrefois dans une contrée de bois et de marécages, fréquentée par des brigands et dangereuse pour les pèlerins de l'époque. Au gré de ses ruelles pavées, je trouve l'église San Domenico, puis le Dôme Sata Maria Assunta et San Genesio, flanqué de l'imposante torre di Matilde. Je fais juste l'impasse sur la visite de la torre della Rocca, dominant le haut de la ville, qui selon mon guide est mentionnée dans L'Enfer de Dante. Je descends sur la plaine où coule la rivière Elsa et roule plein sud avant de bifurquer en direction des collines du val d'Elsa, la contrée des olives et du chianti. Les paysages sont magnifiques et la récolte des olives, dont l'odeur pénétrante embaume l'air, bat justement son plein. A mi-chemin se dresse le superbe village de San Gimignano, la ville des tours médiévales, lesquelles ont fait sa renommée. Elle en compta jusqu'à 72, à ce jour il en reste encore 14. Les bâtiments dont la plupart remontent aux 13e et 14e siècles sont extrêmement bien conservés et le tourisme est évidemment florissant. L'origine de l'essor de San Gimignano est dû pour une grande partie au passage de la Via Francigena. En 1199 la ville obtient les libertés communales et c'est à cette époque que sont construits les palais et les impressionnantes tours aux allures de donjon que l'on peut encore admirer aujourd'hui. Ces tours manifestent la splendeur et la puissance des familles de la ville, mais sont aussi l'expression des grandes tensions et rivalités entre factions. Comme à Vérone, deux familles étaient à la tête de ces partis rivaux. Je me restaure ainsi à l'abri des murs du Dôme de Santa Maria Assunta du 12e s et agrandi au 15e s., qui domine la piazza du Duomo, entourée de sept tours et des palais. Il me faut pourtant bien reprendre la route si je compte atteindre pour la fin de l'après-midi Siena. Encore quelques montées parmi les vignobles et les oliviers en direction de Monteriggioni puis c'est la descente jusqu'au Col du Val d'Elsa et j'arrive en vue des remparts de Siena, juchées sur trois collines dont émergent ses hautes tours gothiques. Je rejoins sans tarder l'impressionnante Piazzo des Campo, où se courent deux fois par an des courses de chevaux opposant dix cavaliers représentant les quartiers de la ville. Puis me mets à la recherche de la Casa Santa Luisa. L'accueil y est encore une fois extrêmement chaleureux et je passe une très belle soirée. Sienne est le point de départ de beaucoup de pèlerins pour Rome, et je me sentirai dès lors un peu moins isolé sur la Via. 

 


 

Siena - Radicofani  

80 km 

  

Je passe toute la matinée à circuler dans cette ville extraordinairement bien conservée, ce qui est vraiment un minimum, tellement les points d'intérêt sont nombreux. Il est juste dommage de se dire que l'étonnant état de conservation qui fait la renommée de la cité est surtout dû à la peste noire qui a causé la mort des 2/3 de ses habitants en 1348 et stoppé net son développement. Le tourisme en est donc aujourd'hui sa principale richesse. Un autre point particulier tiré de mon guide, Sienne a la plus ancienne banque du monde encore en activité, puisqu'elle a été fondée... en 1472 ! Elle a toutefois dû faire cette année l'objet d'un plan de sauvetage de la part de l'UE en raison de grosses difficultés financières. Outre  la Piazza des Campo et la cathédrale Santa Maria Assunta, je visite le quartier où a vécu sainte Catherine de Sienne, qui fit alors qu'elle était enfant l'expérience d'extases mystiques. Sa tête y est conservée à la Basilique San Domenico. Je sors de la ville par la Porta Romana, et la Via m'offre des paysages toujours aussi beaux. Je traverse les crete senesi, contraste saisissant avec les verts paysages de la veille. Ici la terre est aride, puisque l'argile et le tuf y affleurent. Mais grâce à des techniques intensives d'irrigation,  la culture du fourrage, des céréales et du tournesol a pu se se développer. Malgré son aridité, la beauté de ses paysages et la douceur de ses lignes en a fait le modèle d'une beauté épurée, qui ont inspiré beaucoup de peintres. Cette terre rude avait aussi tout pour plaire aux ermites et aux moines, comme sur une colline nommée Monte Oliveto, dont l'abbaye et sa communauté sera reconnue par le pape Clément VI en 1344. Le nombre de villages que je traverse diminue fortement par rapport à la veille. J'aurais souhaité passer la nuit à San Quirico, mais ne trouve pas d'hébergement. Comme la journée n'est pas trop avancée, je me remets en chemin. Toutefois, mes tentatives dans les gîtes ruraux restent vaines.  En effet, la culture des olives bat son plein et les gens n'ont pas de temps à me consacrer. Qu'à cela ne tienne, j'avales rapidement les kilomètres, sur la route nationale qui est pour une fois en excellent état. Reste encore la montée jusqu'à Radicofani, et comme pour Valpromaro, c'est de nuit que je termine cette longue mais très riche journée. Des pèlerins rencontrés à l'entrée du village me mènent au refuge St-Pierre et St-Jacques. Tout le monde est de sortie mais cela me convient très bien car je suis fourbu et peux tranquillement reprendre des forces au cours de la soirée.  

 

 

 

Radicofani - Montefiascone  

80 km 

  

Après un échange enrichissant avec deux frères belges sexagénaires en route depuis Canterbury, je visite le très beau village de Radicofani, avec ses maisons en pierre et ses toits d'ardoises. Je n'oublie pas de faire le plein de provisions puis m'engage sur une belle descente un peu sportive, sur l'antique Via Cassia. La vue sur la mer de brouillard recouvrant la vallée de la Paglia est féérique. La prochaine halte intéressante est la ville d'Acquapendente, que l'on rejoint par une jolie route de montagne. C'est une étape très importante sur la Via Francigena, depuis le Moyen Age, lorsque faisait rage la lutte entre la papauté et l'empire. La légende raconte que deux paysans travaillant dans un champ ont vu un cerisier mort refleurir. Les habitants y ont vu un signe de la Vierge qui les incitait à se rebeller contre l'Empereur, alors que le mécontentement y était déjà bien présent. Chaque année depuis plus de huit siècles les habitants commémorent cet épisode marquant de leur histoire en exposant lors de la fête de la Madonna del Fiore, chaque troisième dimanche du mois de mai, d'immenses tableaux constitués de fleurs, de rameaux et de feuilles. Le plus beau tableau est désigné sur la place principale et ces compositions florales sont ensuite exposées dans la basilique, dite du St-Sépulcre, en raison de sa très belle réplique se trouvant sous le choeur. Acquapendente est le point le plus proche de Rome pour le pèlerin désirant obtenir à pied son Testimonium. Il me reste donc une centaine de kilomètres, ce qui signifie que je serai selon toute vraisemblance après-demain à Rome. Je roule à travers de belles collines bordées de champs d'oliviers jusqu'à Bolsena, avec son lac qui est le plus grand d'Europe d'origine volcanique. La saison étant bien avancée, il y a peu de touristes, notamment près du château, et dans les rues adjacentes. Je suis conscient que je vais devoir à nouveau remonter pour rejoindre l'étape finale du jour, et ne m'attarde ainsi pas trop. Montefiascone domine le lac, et l'animation est beaucoup plus importante qu'à Bolsena. Elle fut un ancien site étrusque, située à l'emplacement d'un temple légendaire où les représentants des douze  principales cités d'Etrurie avaient coutume de se réunir, avant d'être conquises par Rome. Le château a été longtemps une résidence d'été pour les papes, en particulier aux XIIIe s. et XIVe s.. Enfin, la ville est connue pour son vin blanc sec qui porte l'étrange appellation "Est ! Est ! Est !". Selon la légende, au XIe s, un évêque allemand se rendant à Rome envoyait son valet repérer les auberges où l'on servait du bon vin. Celui-ci notait sur le mur des auberges "Est" pour indiquer qu'il y en avait. Arrivé à Montefiascone, il aurait trouvé le vin si bon qu'il aurait noté trois fois le mot. De retour de Rome, l'évêque se serait installé dans la ville et y est enterré. Pour l'avoir goûté, je peux dire que cette réputation est totalement exagérée. Par contre, le point du vue sur le lac est tout bonnement extraordinaire, et la ville avec ses étroites ruelles vaut absolument une visite. 

 

 

Montefiascone - Monterosi  

80 km 

  

J'ai passé la nuit au couvent de capucins San Pietro, plutôt désertique, et suis prêt pour cette dernière grande étape. Ce matin je roule vers Viterbe, qui était une ville d'Etrurie très importante. Cependant, comme elle était très proche de Rome, elle fut rapidement intégrée à l'empire, en 310 av. J.-C. Elle a été une base militaire pour le roi lombard Desiderius qui projetait d'envahir Rome. En 1145, suite à des troubles opposant la population romaine avec le Saint-Siège, le pape trouva refuge à Viterbe. Elle devint ainsi la résidence préférée des papes, et même le centre de la chrétienté, de 1257 à 1261. Elle a été aussi la cible de luttes entre l'empereur et le pape. De grands penseurs et érudits participèrent à la grandeur de la ville, tels que saint Thomas d'Aquin. J'apprends encore par mon guide que c'est à Viterbe qu'ont été enfermés les cardinaux à clé (d'où le nom "conclave") dans une salle jusqu'à ce qu'un pape soit élu. Il faut dire que cela faisait trois ans qu'ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord. Saint Bonaventure a finalement exhorté les habitants à empêcher les cardinaux de quitter le ville, et ce fut Gregoire X qui fut désigné. La ville est superbe, je la parcoure dans tous les sens, passant sur la Piazza del Pellegrino, d'où partent des ruelles flanquées d'arches, d'escaliers et de balcons, ainsi que devant la cathédrale et bien entendu le palais des papes, qui la jouxte. Depuis son grand balcon, le pape Clément IV prononça l'excommunication des troupes de Conradin de Souabe. Je dois finalement repartir, mais je décide de quitter la Via Cassia et traverser les collines sur des chemins parfois difficilement carrossables. Mon vélo ne me trahit toujours pas, et j'en profite pour me reposer au pied des oliviers. Le soleil est radieux, comme tous les jours depuis Lucca. Passé le village de Capronica, je m'emballe un peu en m'engageant dans un chemin qui me paraît sympathique, à travers une forêt en direction de Sutri. Toutefois, il se transforme rapidement en sentier et je finis par devoir porter mon vélo lors de quelques traversées de rivières sur des ponts vraiment instables. J'évite cependant un bain forcé et arrive dans cette ancienne ville étrusque, où se trouve un parc avec un amphithéâtre entièrement creusé dans le tuf entre le 1er s. av. J.-C. et le 1er s. ainsi qu'une nécropole d'une soixantaine de tombes datant du 3e au 1er s. av. J.-C. 

 


 

Monterosi - Roma  

60 km 

  

Le dernier jour sera plus bref concernant la distance, mais je sais qu'il me faudra affronter la circulation "sportive" à travers Rome. Je quitte de bonne heure le B&B à Monterosi et profite du beau chemin à travers la forêt et un parc naturel. Je reste au large des lacs de Bracciano et Martignano, car je veux éviter aujourd'hui les montées et descentes de collines. Il y a tout de même une solide grimpette pour atteindre le village de Campagnano, où je peux faire mes emplettes. Je continue ensuite par la Via Cassia, toujours aussi mal en point et atteins La Storta, qui correspond à la deuxième halte de Sigéric, la première étant Rome. L'épisode le plus important de la ville n'est pas lié à Sigéric, mais à saint Ignace de Loyola. Alors que celui-ci, en novembre 1537, voyageait vers Rome avec deux compagnons pour être reçu par le pape, il s'arrêta  à La Storta pour y prier dans la chapelle qui lui est maintenant dédiée. Il lui sembla alors voir Jésus, portant une Croix, et le Père, demandant à son fils de prendre Ignace comme son serviteur. Cette apparition eut une profonde influence sur les orientations de la congrégation alors naissante que saint Ignace nomma Compagnie de Jésus. La chaleur se fait bien ressentir pour un 24 octobre et je suis un peu tenté de prendre le prochain train pour Rome, car entrer dans la ville en vélo me fait un peu peur. Cependant, il faut bien admettre que même si les Italiens roulent assez rapidement, ils sont malgré tout assez respectueux des cyclistes. Je n'ai vraiment pas eu à me plaindre durant ces onze jours de voyage, même s'il faut bien entendu rester attentif à tout instant. Je suis les conseils de mon guide qui me fait entrer, plutôt que par la Via Cassia, par la Via Trionfale, qui était la voie romaine empruntée par les empereurs revenant victorieux. Cela me paraît tout à fait indiqué, et en plus elle mène au Monte Mario, d'où on peut apercevoir pour la première fois la basilique Saint-Pierre. J'imagine sans peine l'émotion qui doit étreindre tout pèlerin qui est en chemin depuis bien plus longtemps que moi. Je redesends la colline et rejoint la Place Saint-Pierre, évidemment très fréquentée en cette année sainte, pour finir directement au refuge de la Providence, où se retrouvent beaucoup de pèlerins pour y échanger leurs souvenirs et leurs expériences, mais pour deux nuits au maximum ! Pour ma part, j'ai devant moi une semaine pour obtenir mon testimoium et surtout profiter de la Ville éternelle. Rien que du bonheur ! 

 

L'année 2016 a été proclamée Année du Jubilé de la Miséricorde par le Pape François. Il me semblait donc tout à fait opportun de me joindre aux flots des pèlerins qui rejoignaient la Ville éternelle à pied ou en vélo, certains depuis l'Angleterre. Je choisis donc de partir en vélo sur les traces de Sigéric, cet évêque venu de Canterbury à Rome pour y recevoir son pallium, et qui a relaté dans un journal les 80 étapes de son voyage de retour en 990. Il a bien entendu emprunté des routes commerciales déjà existantes, à l'époque des Romains puis des Lombards, et qui amenaient voyageurs et pèlerins (notamment de "France") dès le début du XIe s. La Via Francigena était tombée dans l'oubli pendant des siècles jusqu'en 1995, où des associations ont vu le jour pour la faire revivre. A présent elle est très bien balisée, et dès cette année également pour les cyclistes, ce qui me donne une motivation supplémentaire de la parcourir. Je tiens à remercier Cédric pour ses précieux conseils tout au long de l'année qui m'auront permis de me préparer de façon optimale pour cette "expédition". Je me suis également basé sur le livre d'Adelaïde Trezzini "La Via Francigena le chemin de Sigéric en Italie" pour me repérer et m'instruire sur les multiples points d'interêt tout au long de cette voie historique. Un grand merci à eux. 

La Via Francigena